INTERVENTION DU PROFESSEUR GOT

Le professeur GOT a, avec d'autres professeurs de médecine, fait adopter par l'Assemblée Nationale la loi Évin (nom du ministre de la Santé de l'époque). Cette loi prévoyait des mesures de restructuration allant jusqu'à l'interdiction des publicités pour l'alcool et le tabac. Aujourd'hui, il est président du Comité Scientifique de l'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies.

Je vous remercie de m'avoir invité parce que, moi aussi, j'ai besoin d'être avec vous. Vous venez ici pour être ensemble, pour partager des valeurs et quand on a une action (le santé publique, nous avons les mêmes valeurs.

Quand on agit au niveau collectif, c'est pour l'intérêt individuel, c'est pour que chaque individu ait la liberté de vivre sans dépendances physiques et psychiques, le plus longtemps possible, dans le meilleur état possible, pour le plus de bonheur possible.

Quand il y a un an et demi, Madame MAESTRACCI m'a demandé de prendre la présidence du comité scientifique de l'OFDT l'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, pour essayer de décrire ce qui se passe avec les drogues. J'ai pensé que le gouvernement prenait une décision courageuse de dire que le tabac et l'alcool sont des produits qui agissent sur le psychisme, que c'est pour ça qu'ils sont consommés, qu'ils sont capables de donner des dépendances, des maladies, qu'ils créent des difficultés considérables. Ce n'est pas à vous que je vais l'expliquer.

L'alcool est une drogue

Ces produits sont des drogues. Dans un pays comme la France qui est le plus gros producteur et consommateur d'alcool, où ce produit a une valeur culturelle, sociale, dire une telle chose était importante.

S'il y a toujours un problème d'alcool dans ce pays, c'est que malgré la réduction de la consommation, qui est importante et qui s'est accompagnée d'une réduction des conséquences en termes de dommages physiques et psychiques, il n'y a pas eu une réduction équivalente du risque de désocialisation.

Quand, à la fin de la guerre, gamin, je voyais reconstruire ma ville d'Évreux, les terrassiers étaient une quinzaine, avaient une pioche pour creuser une tranchée. Il y avait un alcoolisme important dans un milieu professionnellement peu exigeant et qui était extrêmement tolérant vis?à?vis de consommations importantes, voire franchement déviantes.

Cette tolérance?là a été supprimée par la société de performance qui est la nôtre. Quand il y a maintenant, à la place de ces quinze ouvriers, un homme qui conduit une pelle mécanique qui doit savoir lire des plans, faire attention de ne pas arracher la conduite de gaz et qui doit être capable de maîtriser ses gestes avec une précisien extrême, toute consommation d'alcool devient impossible. S'il a un problème d'alcool, il est éjecté de son entreprise et de la société. Il se retrouve au chômage et ensuite au RMI avec une aggravation de sa situation par rapport à l'alcool du fait de la détérioration de sa situation sociale. Pour moi, c'est le fait actuellement le plus préoccupant.

On parle beaucoup de l'augmentation de l'alcoolisme féminin, il a toujours existé, il a toujours été environ trois fois plus faible que l'alcoolisme masculin, et ça n'a pas bougé et quand vous regardez les chiffres objectifs, de l'implication des femmes dans les accidents de la route avec l'alcool ou la proportion de cirrhose du foie d'origine alcoolique, vous ne trouvez pas de différence par rapport au début du siècle. Sur l'alcoolisation des jeunes, j'ai également beaucoup de méfiance vis?à?vis des données qui sont annoncées, sans un fondement suffisant. L'alcoolisation n'est pas la même dans la jeune génération et dans celle qui la précède.

Quand on cherche à savoir quelle est la proportion de malades dans les hôpitaux ou dans le secteur libéral, on voit que les chiffres sont très insuffisants. On est en train en particulier cette année, dans une étude conjointe avec les observatoires régionaux de la santé, avec les hôpitaux d'essayer de préciser ce point.

Quand, ensuite, on passe au niveau de la prévention, un domaine qui a toujours intéressé votre Mouvement, on voit que, dans le détail, beaucoup de choses ne marchent pas bien. Il y a des insuffisances qui vont du niveau politique jusqu'au niveau administratif et organisationnel.

La loi Evin : une loi courageuse

Au plan politique, quand on voit ce qu'est devenue la loi Évin, qui était une loi courageuse, la partie tabac a bien résisté et la partie alcool pas du tout. A l'alternance suivante, la publicité par affichage avait été rétablie. Dès le vote de la loi, le Parlement avait maintenu la publicité sur les radios.

On est donc dans une situation où la publicité a repris son poids dans la promotion de l'alcool. J'étais à l'origine en 1978 du texte parlementaire qui a créé les contrôles préventifs d'alcoolémie, ça me paraissait ridicule d'agir seulement après l'accident par des sanctions et je pensais qu'il fallait dissuader la conduite sous l'influence de l'alcool. Cette loi a bien évolué. je crois qu'elle a dissuadé un certain nombre de gens de conduire sous l'influence de l'alcool. Et comme tout le monde a une voiture, ça agit sur la consommation globale dans ce pays. En 1970, la limite d'alcoolémie a été fixée. En 1978, c'était la loi qui permettait les contrôles préventifs. Et c'est pendant cette période, la décennie 70 que la diminution de la consommation d'alcool en France a été importante et s'est poursuivie jusqu'à maintenant.

Mais dans le détail, y a des départements qui travaillent bien, d'autres qui travaillent très mal. C'est ridicule de faire des contrôles d'alcoolémie le lundi matin à 11 h00 sur les places d'Orléans ou de la Concorde. Il faut le faire le vendredi soir, le samedi soir, au moment où il y a les sorties de boites et où l'alcoolisation est importante.

Un exemple simple

Donc, il y a beaucoup à faire. Et regardez, un exemple simple, précis pour dissuader la conduite sous l'influence de l'alcool. Il y a maintenant des systèmes bien au point, qui ont été mis au point aux Etats?unis, au Canada et en Suède. Le démarreur du véhicule est couplé avec un éthylotest électronique. C'est assez simple à faire techniquement. Les gens qui ont un problème de conduite avec l'alcool sont tenus de conduire uniquement un véhicule ainsi équipé. On a dit au début, qu'ils vont faire souffler le voisin. Si le voisin a assez peu le sens des réalités, pour accepter de monter avec quelqu'un qui a un éthylotest positif, c'est que lui même est sous l'influence de l'alcool et habituellement son véhicule ne démarrera pas. Et bien en France, on vient d'annoncer dans le dernier comité interministériel que deux départements tenteraient dans une démarche provisoire d'essayer ce système. À mes yeux, il devrait être généralisé depuis longtemps dans tous les départements et être très lié aux décisions des commissions de retrait de permis de conduire.

Car voyez vous l'avantage, c'est que ça évite la désocialisation. Quelqu'un a eu un dépistage avec une alcoolémie anormalement élevée, il peut continuer à conduire, garder son travail mais avec un instrument qui le rend non dangereux ni pour lui ni pour les autres.

Je terminerai avec cette notion. Regardez ce qui se passe ces jours?ci avec la crise dite de la vache folle. C'est vraiment pas la folie des vaches, c'est la folie des hommes, ça fait trois morts sur cinq ans. L'alcool tue 40 000 à 50 000 personnes chaque année en France. Pour un problème de santé, qui est actuellement, à mes yeux (je peux me tromper) sur évalué comme risque sur la santé publique, on envisage de mettre des dizaines de milliards alors que pour un problème qui touche des millions de personnes et qui fait des dizaines de milliers de morts, les moyens sont extrêmement difficiles à dégager.

Il y a des anomalies, il y a des anomalies profondes quand une telle société a de tels comportements.

je vous remercie et vraiment je suis très très heureux d'être avec vous aujourd'hui.